Le forum pédagogique : la pari de la confiance
Des enseignants interconnectés porteurs de compétences partagées.
Julie Higounet et Jérôme Train sont deux conseillers pédagogique du réseau nord-américain de la Mission Laïque Française. Les contextes d’enseignement et la répartition géographique des équipes de la MLF a tout naturellement conduit les deux formateurs à intégrer des outils numériques pour rapprocher les enseignants et fluidifier le partage de ressources pédagogiques.
Introduction
En terme de formation continue, l’enjeu pour nous, enseignants français à l’étranger, est de pouvoir répondre au besoin de contextualisation. Le public non francophone amène à questionner et modifier considérablement les méthodologies “usuelles” de travail. La plupart des dispositifs actuels sont accompagnés et soutenus par un système de formation continue parcellaire, descendant et souvent hors sol. Peu de place au final pour la co-construction des compétences. Il est devenu nécessaire dans notre contexte de prendre en compte de façon plus systématique l’expertise acquise par les enseignants. Nous sommes partis de ces observations pour construire un dispositif de formation coopératif, dédié à l’ensemble des écoles de la Mission Laïque Française : le Forum pédagogique.
Vers un changement de positionnement : l’enseignant-formateur
Enseigner en français avec un public non-francophone nécessite de repenser la place de la langue et demande de comprendre les modalités de transfert de compétences entre deux langues et les systèmes de co-enseignement. Ce sont des méthodologies de travail à modifier et à réinventer au quotidien. Les professeurs face aux défis rencontrés, développent des réponses adaptées, parfois inattendues et surtout bienvenues pour les élèves. Ces «trouvailles» pédagogiques, trésors de contextualisation, restent parfois à l’intérieur de l’espace classe ou sont aux mieux diffusées dans l’enceinte de l’établissement.
A partir de là, plusieurs questions se posent. Celle de la diffusion de ces pratiques innovantes et celle de l’ancrage chez l’enseignant investigateur : comment permettre au professeur ayant développé une expertise de continuer à faire avancer sa réflexion sur le sujet ? La question de la valorisation et la reconnaissance des compétences nouvellement maitrisées reste alors centrale.
Le partage entre pairs peut à la fois faire partie des éléments de valorisation et représenter un début de diffusion et de réflexion active sur les gestes professionnels. En permettant aux enseignants de participer au partage de leurs domaines d’expertise, c’est un pas de côté qui est effectué. Se préparer à partager c’est se mettre en situation d’analyser sa pratique. Après presque deux ans d’existence, ce système de formation entre pairs a permis de faire évoluer “les enseignants-formateurs” sur l’analyse du geste professionnel et sur l’articulation des pratiques avec la recherche. Les retours et témoignages sont unanimes. Tous font mention d’une recherche de cohérence et de distanciation en phase préparatoire, facilitant une mise en perspective de leur champ d’expertise. Le simple fait de restituer à des pairs amène à consigner soigneusement les préparations et les travaux d’élèves pour les articuler et les rendre intelligibles par autrui. Cette réflexion en amont, permet ainsi à de nombreux enseignants d’analyser leur pratique dans le détail et de mieux comprendre ce qu’ils peuvent améliorer.
Autre aspect important, les interactions entre pairs. C’est lors de ces échanges qu’ont eu lieu des prolongements ou des réorientations de pratiques. Le dialogue horizontal peut permettre de poser des questions qui résonnent chez les pairs aidant à trouver des réponses de par la proximité dans les défis rencontrés au quotidien. Les demandes ou les remarques effectuées sont mieux entendues, les enseignants arguant souvent parler la même langue. Ce changement de posture, ouvre la voie à un dialogue différent sur l’engagement et la mobilisation dans le quotidien de la classe. Repenser le positionnement de l’enseignant est pour nous la chance de valoriser et diffuser les pratiques pédagogiques les plus en adéquation avec les défis rencontrés au jour le jour. C’est également permettre à chaque professeur d’effectuer un travail métacognitif substantiel faisant pleinement sens car étant à destination de ses pairs. Ce changement de rôle chez l’enseignant s’accompagne toujours de perspectives nouvelles dont celle de ne plus être en réception passive lors d’une formation.
La team @Mlf_america présente le FORUM PÉDAGOGIQUE : une plateforme d’écoformation où chaque enseignant vient partager une initiative pédagogique dans un espace de confiance et de collaboration https://t.co/83WUJIxRh0 v/@Juliehig @jerometrain @Mlfpedagogie @mlfmonde #MLFnumérique pic.twitter.com/hY7Xd3us6c
— 🎙Nipédu (@Nipedu) 15 novembre 2018
Le Forum pédagogique
Afin de prendre en compte et reconnaître les compétences des personnels de notre réseau, nous avons ouvert une plateforme de partage. De la simple initiation à la mise en œuvre concrète d’un projet, les rencontres virtuelles s’adaptent et évoluent en fonction des besoins de chacun. Les enseignants se fédèrent autour d’une volonté commune, partager et accepter de travailler ensemble sur cet espace numérique mis à leur disposition.
Pour ce faire, un calendrier de rencontres synchrones autour de différents sujets est accessible et ouvert à tous. Chacun est libre de s’y inscrire sans demande de validation hiérarchique. Ceci crée les conditions d’une communauté dynamique.
Des salles de visioconférence pour chaque sujet restent à disposition de tous les participants sur la totalité de l’année. Cette approche de la formation s’inscrit dans la durée, elle laisse le temps à la mise en pratique, au questionnement et au partage d’expériences.
L’organisation de ces rencontres synchrones est pensée sur trois types de formation, d’une durée d’une heure chacun.
Le FORUM PÉDAGOGIQUE @Mlfpedagogie c’est aussi un accompagnement des enseignants par la recherche :
1️⃣problematique🧠
1️⃣conférence🗣
1️⃣chercheur🔬 @jerometrain @Juliehig @Mlf_america #MLFnumerique @lyceemoliere @mlfmonde pic.twitter.com/C298In6txt— 🎙Nipédu (@Nipedu) 15 novembre 2018
1) Formation levier : Initiation à une méthodologie de travail ou des pratiques adaptées aux besoins du terrain. Les enseignants rencontrent à distance un pair pour tenter de répondre à leurs besoins.
Exemples
Le langage des signes en maternelle
Les pièces de théâtre radiophonique
2) Accompagnement de projet : une fois la phase d’initiation effectuée, les enseignants peuvent se lancer sur une mise en œuvre de projet, pour lequel ils seront accompagnés par un pair plus longuement dans le temps. Plusieurs sessions de rencontres réparties sur l’année scolaire sont proposées. Ceci permet un retour de pratique, un partage d’expérience et une mutualisation multifocale.
Exemples
Des élèves médiateurs
Construire un webdocumentaire
3) Recherche-action : les enseignants peuvent proposer des problématiques à investir et être suivis annuellement par des équipes de recherche.
Le numérique nous permet d’accompagner l’acte de formation dans le temps, en multipliant les interactions. La réflexion et l’assimilation permettent, sur la durée de réelles évolutions dans les pratiques. Les rencontres d’une heure évitent de se perdre et leur récurrence facilite les mises oeuvre en classe.
Une intelligence collective en action
En s’appuyant sur les ressources vives locales, les démarches innovantes deviennent collectives. L’expertise développée est alors progressivement partagée par une communauté. En devenant à la fois force de propositions et vecteur d’accompagnement de leurs pairs, les enseignants tissent des liens professionnels autres. L’enrichissement est au rendez-vous. Cette démarche volontaire, horizontale basée sur la confiance, fait la part belle à l’initiative collective. ll n’est pas rare que des groupes de réflexion se montent et perdure au-delà des rencontres initialement prévues pour une heure. Ils évoluent alors en fonction des projets. Ainsi par exemple, trois lycées ont décidé d’écrire et de monter ensemble une pièce de théâtre radiophonique. Une formation sur le langage des signes en maternelle a suscité des rencontres hebdomadaires sur plusieurs mois. Le réseau se nourrit ainsi de ses forces et de ses propres compétences. La contextualisation est au rendez-vous et les retours en classe plus systématiques.
L’acte volontaire et autonome se comprend aussi comme une démarche responsable. Chacun identifie et évalue les sujets sur lesquels des avancées sont possibles au sein de la classe. S’inspirer librement des tâtonnements, des réflexions, des expériences de collègues favorise le maillage du réseau et crée les conditions d’une prise en main collective des objets de formation. Cette piste de l’autoformation à travers la force d’un réseau d’apprenants repose sur l’idée que, avec le numérique, personne n’est plus jamais seul face aux problématiques de son métier.
Comment faire de chaque établissement un établissement apprenant, avec le numérique, mettre en réseau ces lieux de culture et d’apprentissage pour aller plus loin. @mlfmonde @JCDEBERRE #MLFnumerique@Mlfpedagogie pic.twitter.com/fX9Eo5N0jR
— 🎙Nipédu (@Nipedu) 14 novembre 2018
Quelques éléments d’analyse
En 2016-2017 600 enseignants, personnels d’encadrement, formateurs se sont inscrits. Ce chiffre a dépassé un millier cette année. Cela représente 100% des établissements de la Mission laïque française en Amérique du Nord et 60% des personnels.
Ces chiffres sont en deçà de la réalité. Du fait de la souplesse du système d’inscription et des modalités de connexion, les équipes font vivre le dispositif en établissement de façon originale et inattendue. Certains collègues ont par exemple utilisé les interventions en conseil de cycle afin de pouvoir avancer en équipe sur un sujet précis; d’autres ont continué à cheminer sur les salles de visioconférence après la première rencontre.
Des communautés se créent et certains échanges continuent par le biais d’autres canaux comme les réseaux sociaux. Les participants utilisent les outils qu’ils jugent les plus pertinents pour poursuivre leur collaboration. L’essentiel résidant alors dans la pérennité du groupe quelque soit le moyen utilisé.
Au-delà de ces chiffres, c’est un positionnement réflexif qui a bougé chez les enseignants « accompagnant » leurs pairs. L’engagement dans la recherche, la lecture et la diffusion de leurs propres travaux s’est considérablement développé. Par ailleurs, un public d’enseignants qui pourrait être qualifié d’invisible, s’est senti plus en confiance pour entrer dans un temps de réflexion d’une heure. Le fait de s’adresser à un pair a également eu pour effet de faciliter les communications et les retours. La formation dispensée a souvent été perçue comme significative car bénéficiant d’une application et/ou d’une expérimentation concrète locale.
L’esprit de partage est contagieux. Nous recevons désormais régulièrement des propositions de sessions. Nous réalisons ainsi qu’ouvrir aux enseignants, avec confiance, une porte sur la diffusion de leur pratique, élève les exigences habituelles. Avec tout ceci, c’est également une redéfinition du métier que nous souhaitons accompagner: Enseigner, Chercher, Collaborer et Diffuser.
Julie Higounet et Jérôme Train
Conseillers pédagogiques Mission Laïque Française
Retrouvez Julie, Jérôme et bien d’autres intervenants de la Mission Laïque Française dans l’épisode Nipédu 99 : Pédagogie, francophonie et numérique
Une réflexion sur « Le forum pédagogique : un collectif apprenant à l’échelle d’un réseau monde »